Eclypsia, l’histoire contrariée d’une pépinière du streaming français Par Lemonde

Eclypsia, l’histoire contrariée d’une pépinière du streaming français Par Lemonde

Edit par Chelxie:
« Il convient de noter que Jiraya, Skyyart et moi-même avions convenu de fixer notre date de départ au 1er avril, qui coïncidait avec la création d'Eclysia, afin de conclure ce chapitre de manière appropriée. En interne, cette information était largement connue, et certaines personnes ont réagi avec appréhension à cette annonce, précipitant ainsi leur départ soudain avant le nôtre. Notamment, une personne a même mis en place un ultimatum pour le chef de l'entreprise, exigeant une augmentation substantielle de son salaire, faute de quoi elle partirait. Je suis heureuse d'avoir quitté l'entreprise en étant sincère avec mes anciens collègues, et je ne regrette pas cette expérience. »

 

Des adieux furtifs et un ultime écran noir. En avril 2018, le paysage français du streaming perd l’un de ses pionniers : après six ans d’existence et des derniers instants chaotiques, la très populaire Web TV Eclypsia ferme ses portes. La société est placée en liquidation judiciaire deux ans plus tard, après un temps à officier sous la forme d’un site d’information sur le jeu vidéo.

 

« Les meilleurs concepts, les meilleurs streameurs »

Nous sommes à la fin de l’année 2011 : la plate-forme Twitch croît lentement dans l’ombre de son parent Justin.tv et, en France, Dailymotion peut encore rivaliser avec la montée en puissance de YouTube. Seuls quelques quidams, motivés bien davantage par la passion que par l’appât d’un hypothétique et maigre gain, diffusent en direct leurs parties de jeux en ligne. Agé d’à peine 25 ans, Julien Thierry gère quant à lui plusieurs affaires à l’étranger dans le secteur de l’affiliation en ligne et cherche, en tant qu’amateur de la licence Starcraft, à investir dans le streaming de jeu vidéo. Après avoir échoué à racheter Millenium, une structure montée en 2002 et rassemblant joueurs professionnels, vidéastes et rédacteurs Web, il lance Eclypsia à Bordeaux, le 1er avril 2012.

« C’était comme une colonie de vacances », se souvient dans un sourire celui qui s’est aujourd’hui éloigné du monde de l’influence. A l’époque, il souhaite capitaliser sur l’idée d’un collectif de vedettes qui se relaient pour assurer une programmation divertissante en direct : l’un s’occupe du créneau du déjeuner, remplacé dès 14 heures par un de ses collègues, avant qu’une émission de discussion en plateau, rassemblant quelques individualités, se joue en prime time, à 20 heures.

Avec les premiers pas d’Eclypsia, c’est le début des lives produits – techniciens et caméras à l’appui – et l’arrivée de moyens presque anachroniques pour une industrie aussi balbutiante. « En dehors des compétitions d’e-sport, on a été les premiers au monde à streamer cinq ordinateurs en même temps », avance Julien Thierry.

 

« On avait les meilleurs concepts, les meilleurs streameurs, les meilleurs moyens, résume de son côté Diego Mames Y Andres, alias TaipOuz, à l’époque souvent posté derrière un ordinateur de régie. L’émission “On est connecté” va vraiment faire dire aux gens qu’il y a quelque chose chez Eclypsia. » D’autres formats mémorables (« Ranked Team Tards », « La Petite Emission », « Le salon de Chelxie ») suivront et s’imposeront dans le streaming comme de nouveaux standards.

De ses bureaux d’Ashford en Angleterre, où la société s’installe en 2013, à ceux de Paris trois ans plus tard, Eclypsia se mue en pépinière de talents. Elle recrute, en CDI, toutes les étoiles montantes du streaming qui croisent son chemin et capte ainsi une audience importante qui suit les lives sur les plates-formes Dailymotion et Hitbox avant une transition sur Twitch. « Je me souviens d’une réunion pendant laquelle les gens de Dailymotion nous avaient dit qu’Eclypsia était leur premier pourvoyeur de trafic », relate Arnaud Dassier, cofondateur d’Avisa Partners, actionnaire puis propriétaire de la Web TV.

Une réussite fragile

Sur le capital de départ de 1,5 million d’euros de la société anglaise, Eclypsia World Limited, celui qui fut responsable de la campagne numérique de Nicolas Sarkozy en 2007 investit 100 000 euros « qui deviennent vite 200 000 ». Son partenaire d’affaires Matthieu Creux, auditionné récemment à l’Assemblée nationale dans le cadre du scandale « Uber Files », le suit et devient, en juin 2016, vice-président de la société Eclypsia. Celle-ci leur est alors vendue par Julien Thierry « pour un euro symbolique » avec la garantie de reprise des dettes contractées.

Car, en dépit de son succès, la Web TV rapporte bien moins que ce qu’elle coûte. Ses fonds sont administrés depuis l’Angleterre par une société fiduciaire et l’absence de réel modèle économique commence à se faire sentir. « Quand j’ai lancé le projet, j’ai eu certaines visions mais je n’ai jamais spécialement réfléchi à comment monétiser Eclypsia ou faire un bon business, concède aujourd’hui Julien Thierry. Je connaissais le marché de la publicité sur Internet et je me disais seulement que plus on générait de trafic, plus on vendrait de publicités. »

Eclypsia perd des milliers d’euros chaque mois et les budgets se resserrent inévitablement. Dès 2015, l’immobilisme, le manque d’encadrement professionnel ainsi que la gestion opaque des caisses de la Web TV en frustrent plus d’un. Adrien Nougaret, connu sous le pseudo ZeratoR, quitte le navire en début d’année, suivi de Domingo, puis de Jiraya, Skyyart et Chelxie, trois figures incontournables du streaming. L’hémorragie de talents, sans cesse compensée par le recrutement tous azimuts de remplaçants, se poursuivra jusqu’à la chute finale.

 

Source: https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/04/10/eclypsia-l-histoire-contrariee-d-une-pepiniere-du-streaming-francais_6168986_4408996.html
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